La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dans le cadre des accidents du travail est un enjeu crucial pour les victimes.
La jurisprudence récente de la Cour de cassation, en particulier l’arrêt Civ. 2 du 6 juin 2024 (n° 22-11.736), marque une évolution significative dans l'utilisation des preuves dites "déloyales" au soutien de cette reconnaissance.
Cet article se propose d’analyser cette décision, en s’appuyant sur les références législatives et jurisprudentielles pertinentes, et en mettant en avant les implications pour les avocats spécialisés en droit des accidents du travail et en faute inexcusable de l’employeur.
I. Contexte Juridique et Faits de l’Affaire
L'affaire concerne un salarié, M. [J], qui a été victime de violences verbales et physiques de la part du gérant de la société [3] le 18 mars 2016. Cet incident, survenu sur le lieu de travail, a été reconnu comme un accident du travail par la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine-et-Marne.
L’employeur a contesté cette décision en saisissant la juridiction compétente, arguant de l'inopposabilité de la décision de la CPAM. Parallèlement, la victime a demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, entraînant la jonction des deux instances.
II. La Notion de Faute Inexcusable de l’Employeur
Selon l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, un employeur est considéré comme ayant commis une faute inexcusable lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La reconnaissance de cette faute permet à la victime d’obtenir une réparation complémentaire pour le préjudice subi, notamment une majoration de la rente d'incapacité.
Dans cette affaire, la cour d'appel de Paris, par son arrêt du 10 décembre 2021, a reconnu la faute inexcusable de l'employeur, en se fondant notamment sur un enregistrement sonore réalisé par la victime à l'insu du gérant, prouvant les violences subies.
III. La Question de la Preuve Déloyale en matière de faute inexcusable de l'employeur
Le cœur du litige devant la Cour de cassation résidait dans l’admissibilité de cet enregistrement, considéré par l’employeur comme une preuve déloyale.
En effet, l'article 9 du Code de procédure civile, associé aux articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, impose un équilibre entre le droit à la preuve et le respect de la vie privée. Traditionnellement, la jurisprudence de la Cour de cassation jugeait irrecevable toute preuve obtenue de manière déloyale, notamment lorsqu’elle était recueillie à l’insu de la personne.
IV. Revirement Jurisprudentiel : La Cour de Cassation et la Preuve Déloyale
Cependant, par un arrêt d’assemblée plénière du 22 décembre 2023 (Ass. plén., 22 décembre 2023, pourvoi n° 20-20.648), la Cour de cassation a infléchi sa position en admettant que l’illicéité d’une preuve ne la rend pas nécessairement irrecevable.
Désormais, les juges doivent apprécier, au cas par cas, si l'utilisation d'une telle preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure, en équilibrant le droit à la preuve et les droits concurrents.
Dans l’arrêt du 6 juin 2024, la Cour de cassation a confirmé cette nouvelle approche. Elle a validé l'utilisation de l'enregistrement réalisé à l'insu du gérant, considérant que cette preuve était indispensable pour établir la réalité des faits, et que l’atteinte à la vie privée du gérant était proportionnée au but légitime poursuivi par la victime : démontrer la faute inexcusable de l’employeur.
V. Implications pour les Avocats en Droit des Accidents du Travail
Cet arrêt revêt une importance particulière pour les avocats spécialisés en droit des accidents du travail et en faute inexcusable de l’employeur.
En effet, il ouvre la voie à l’utilisation de preuves initialement considérées comme déloyales, dès lors qu’elles sont essentielles pour la défense des droits des victimes.
Cependant, cette admissibilité est conditionnée à une analyse minutieuse de la proportionnalité de l’atteinte aux droits en jeu, ce qui implique une argumentation juridique solide et bien étayée.
Les avocats devront donc veiller à démontrer, dans chaque cas, que la preuve qu’ils entendent produire est indispensable et que son utilisation respecte l’équilibre entre le droit à la preuve et le respect des droits fondamentaux, notamment la vie privée.
VI. Conclusion : Une Évolution Jurisprudentielle Marquante pour les contentieux en matière de faute inexcusable de l'employeur
L’arrêt Civ. 2 du 6 juin 2024 constitue un tournant dans la manière d’appréhender la preuve en matière de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
En admettant la recevabilité de preuves obtenues de manière déloyale, la Cour de cassation renforce la possibilité pour les victimes d’accidents du travail d’obtenir réparation, même lorsque les preuves à leur disposition sont difficilement recevables selon les critères traditionnels. Cette évolution jurisprudentielle nécessite une vigilance accrue des praticiens du droit, qui doivent s'assurer que l'utilisation de telles preuves respecte le principe d’équité de la procédure.
En tant qu’avocat en accidents du travail et faute inexcusable, cette décision offre de nouvelles perspectives pour défendre efficacement les droits des salariés victimes, tout en respectant les exigences légales et déontologiques.
Il est crucial de rester informé des évolutions jurisprudentielles et de les intégrer dans la stratégie de défense pour garantir la meilleure protection possible des intérêts des clients.
Références :
Code de la sécurité sociale, Article L. 452-1.
Code de procédure civile, Article 9.
Convention européenne des droits de l'homme, Articles 6 et 8.
Cour de cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, pourvoi n° 20-20.648.
Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 6 juin 2024, n° 22-11.736.
Cet article démontre l'importance d'une veille juridique continue pour les professionnels du droit, afin de rester à jour sur les décisions qui impactent directement la pratique quotidienne et les stratégies de défense en matière de droit des accidents du travail et de la faute inexcusable de l'employeur.
Enfin, n'hésitez pas à contacter un avocat en droit du travail si vous avez des questions ou des doutes concernant un accident de travail.
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